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dimanche 1 mai 2011

Episode 15 : Fantasmagories

Côté gauche.

Le fleuve enjambé sans bruit sous les chuchotements des réverbères, la proue d’un navire se détachant de la pierre, trois coups frappés fébrilement au mitan de la nuit.

La lumière confuse d’une lucarne, des jeux d’ombre derrière le rideau de la soie, le crissement des soupirs derrière le secret des portes.

Une jeune femme aux cheveux tantôt bruns tantôt blonds se disperse sur le velours cramoisi d’une banquette romaine, libérée des dentelles, prisonnière des caresses, recueillant sur ses lèvres l’arôme amer et trouble d’une succession de mises en bouche.

Côté droit.

Livrée aux caprices d’appétits aiguisés, une jeune femme, mise bourgeoise et figure incertaine, s’accroche aux replis du velours.

Une femme aux yeux de jais lui réclame avec insistance qu’elle épanche sa soif, d’autres fruits lui sont tendus, elle les déguste déjà ; les désirs sont servis sur le champ comme autant de mets sur la carte.

Ô l’étrange volupté des jeux adultes quand s’y mêlent les battements d’un cœur resté enfant, et qu’aux abandons les plus inavouables répond la pureté câline d’un sourire…

Flanc gauche.

Vaisseau boisé, drapeaux noirs, tango de la nuit. 

Sous la grêle du plaisir une jeune femme au teint pâle meurt de froid, et puis l’instant d’après brûle d’y revenir.

Un homme à la tête de chat et aux allures obséquieuses passe la porte de la cabine, poussant devant lui un petit chariot à roulette orné de poignées d’étain, sans interrompre le cours de l'épiphanie, n’emportant avec lui que des miettes de luxure.

Flanc droit.

Roues grinçantes du chariot, cloche d’argent relevée, gourmandise ouvrière, jupe retroussée.

Roulements de tambours républicains, cortège respectable défilant sous la terre, monocles de sénateur égarés dans les tissus bon marché de jeunes couturières.

Silence glacé des miroirs que brise le cri feutré des diamants.

Mouvements de côté, flanc droit puis gauche, frémissement des paupières, la gauche puis la droite, les yeux grands ouverts.

Eugénie se réveille en sursaut, l’âme encore embrumée de rêveries voluptueuses, cherche l’heure à sa montre puis se ravise – son poignet n’en a pas.

Veut rajuster sa nuisette – puis sourit de nouveau, car elle n’en porte pas. 

Elle relit les consignes laissées à son intention dans un coin de l’ordinateur.

Elle franchira le fleuve dans le bruit foisonnant de l’été, glissera sa silhouette féline jusqu’à l’immeuble de bois et de pierre, frappera gaiement trois fois à l’entrée dérobée du Quai des Fleurs, on ouvrira la porte,

Il la prendra tendrement dans Ses bras.

vendredi 22 avril 2011

Episode 13 : Bi-joues

Larmes tressées, liqueur d’ébène, reliures d’or,

Gouttes d’opale suspendues, épaules nues, Eugénie bascule la tête ;

Peau d’orgeat libérée des étoffes, chapelet de quartz, anneaux symétriques,

Noirs desseins, pages blanches, encre des doigts, calligraphie-désir,

Lettres tremblées, ligne de hanches, grelottement des topazes,

Jambes relevées, cliquetis des pierres, désir liquide,

Sexe percé, pierres brûlantes, soupirs glissants,

Petits seins ourlés, murmure des pierres, ventre plissé,

Accroupie, visage d’ondine, rigoles de pierre,

Plaisir ambré, jet d’améthyste, neige fraîche sur la plaine.

Cercles de métal doré desserrant leur étreinte.

Cercles de lèvres épuisées inscrits l’un à l’autre.

Fragments de sourire qu’Il ramasse sur sa grève.

Caresses reprisées, silence des secrets, baisers-nicotine,

Bonheurs enroulés, cigarettes perlées, crinière débouclée,

Tendresse minérale.

vendredi 8 avril 2011

Episode 12 : Echappée belle

Une jambe se tend, tandis que l’autre se rétracte, puis s’allonge à son tour, accordant à l’autre un répit éphémère, dans une série de cycles au terme de laquelle Eugénie ouvre la bouche en grand et relève sa robe noire plissée à mi-cuisse, recueillant un second souffle et la fraîcheur des bosquets, avant de jeter à nouveau toutes ses muscles dans la ronde infernale.



Un talus en pente légère, la piste du vent tracée à travers les herbes hautes, une paire de ballerines dispersées à la hâte, l’ombre rassurante d’un marronnier étendant son emprise sur le corps aux pieds nus d’Eugénie à mesure de la course du soleil.



Un peu plus tôt les calices avaient rompu leurs digues, teintant les coupes de rose rubis, et ses lèvres s’étaient hâtées de leur restituer leur éclat de cristal originel, laissant s’écouler en elle ce nectar de saison qui abaissait ses paupières et hissait ses voiles.



Un murmure de fin d’après-midi parcourt le bocage, Eugénie dévale la colline au ralenti, s’enroulant d’un tapis de trèfles et de carotte sauvage, de bleuets et de marguerites, de giroflées et de pissenlits tressé par le mouvement, et les souvenirs s’épandent comme des graines de colza à chaque roulade.



Un éclair de Lou dans son âme-tempête.



Leurs ventres adolescents serrés l’un contre l’autre, quelque part dans les dernières moiteurs d’une province de mi-août, l’arôme mentholé de leurs langues qui ne se cherchaient jamais longtemps, les retours vers la ville qu’on repoussait sans cesse, le parfum troublant de promesses qui ne dureraient pas au-delà du beau temps.



Des éclairs par dizaines bientôt crépitent dans ses plaines.



Des étreintes oubliées, des cascades de jouissance à présent pétrifiées, des visages dont elle cherchait les contours sans retrouver plus que l’esquisse d’un désir, des plaisirs fugaces et révolus dont la traînée trouble se désintégrait sans regret ni remords dans le ciel violacé de sa mémoire.



Un éclair de Lui lui dégrafe à présent le coeur.



Son sexe dérivant dans sa moiteur étale, quelque part au fond d’un Paris antarctique ; Ses mains plongeant dans le torrent brun-blond pour l’asperger de caresses, sa main plongeant dans la Sienne pour ne plus jamais craindre rien ;



Ce nid de tendresse éperdue et secrète qu’ils avaient su préserver sans serment ni promesses.



L’ombre des marronniers a depuis longtemps rejoint l’horizon, quand Eugénie reprend les tensions et replis alternatifs de ses gambettes, donnant la cadence aux engrenages de sa machine sous la pâleur diffuse de la lune.



Les roues rayonnées cavalent en tressautant sur les pavés qui la ramènent vers les zones de confluence humaine ; les cheveux brun-blonds sont triés un à un par le déplacement d’air, un sourire d’après l’orage se dessine sur son visage mêlant des traits de femme et d’enfant, elle sait qu’il existe un lieu où frapper à toute heure quelle que soit la couleur de son âme,



Elle sait qu’Il l’y attend.

samedi 26 mars 2011

Episode 10 : Rétrospections

Les longs doigts fins viennent effleurer à intervalles réguliers les arêtes de petits cubes noirs alignés en rangs serrés sur le terminal, et la répétition incessante de ces arpèges fait jaillir à volonté des volutes de mots choisis sur la toile de la lanterne magique d’Eugénie, et les vaisseaux engloutis de ses réminiscences refont surface sur l’étendue de cristaux liquides.



Eugénie relève ses jambes nues sur les rives desquelles le satin bleu afflue et reflue au gré de ses poses, et porte à ses lèvres un foyer rougeoyant de papier de riz aux âcres senteurs d’Orient.



Elle avait traversé les sous-bois de ses désirs les plus inavouables, jusqu’à être recouverte toute entière par les broussailles et les ronces ; une main ne l’avait pas quittée sur le sentier mal éclairé de cette forêt pétrifiée, la tenant fermement pour ne pas qu’elle trébuche, lui signalant les pièges à loup tapis sous la mousse, pour la conduire à la fin vers la douceur chatoyante des clairières : Sa main, dans laquelle elle aimait tant glisser la sienne.



Elle savait que nul ne lirait jamais ces phrases qu’elle faisait inscrire sur des rouleaux numériques qu’elle cacherait ensuite dans le double fond des coffrets de sa mémoire, elle pouvait donc librement y compulser les secrets de ses fantasmes et les élans de son cœur.



Ils s’étaient éloignés des territoires du libertinage, embarqués vers une destination qui leur était inconnue. Ils s’étaient défaits d’une peau morte de luxure, et pourtant le fil sous-marin qui les reliait l’un à l’autre ne s’était pas rompu, se recouvrant d’un corail de tendresse qui le rendait plus solide encore.



Les petits seins dressés d’Eugénie affleurent sur le lac de satin turquoise tandis qu’elle reprend une respiration de fumée trouble, et qu’un sourire irrépressible creuse ses jolies fossettes puisqu’elle pense à Lui, à eux, à leurs dérobades, à leurs cavalcades souterraines et leurs disparitions impromptues.



Elle cherchait à habiller de mots les liens qui la retenaient à Lui, sans pouvoir parvenir à exprimer parfaitement l’étrange beauté de leurs transports, sans pouvoir définir précisément la nature de cette ligne de connexion qu’ils avaient tracée de part et d’autre de leurs âmes, sans exclusive, sans tentative d’annexion, ni titre de propriété ni bail, dans le seul exercice de leur droits de jouissance, et leur envie constante de creuser des tunnels pour venir se couvrir en cachette de leur bienveillance réciproque.



Il jetait sans relâche pour elle des bouteilles dans la mer digitale, qu’elle repêchait par grappes quand le courant finissait par les ramener sur ses plages ; le contenu des parchemins qu’elles renfermaient n’avait pas toujours une grande importance, seul ce geste répété qu’Il accomplissait ainsi était signifiant : il signalait la présence fantomatique de Ses bras autour d’elle, il disait qu’elle n’était jamais loin de Sa géographie mentale, il indiquait l’intense beauté renouvelée qu’Il trouvait en elle, et cette vigilance télépathique la rassurait et l’apaisait.  



Les eaux bleu-lagon satinées se sont retirées, laissant apparaître les reliefs du corps nu d’Eugénie, tandis qu’un parfum entêtant envahit complètement l’espace. Les phalanges menues effleurent d’autres arêtes, font jaillir d’autres volutes de plaisir, et la répétition incessante des gestes se dissout dans le ruisseau tourbé des soupirs.


Les cheveux brun blonds d’Eugénie s’étoilent sur Son épaule, et la pulpe de son index glisse délicatement sur Sa verge à présent assoupie, et l’autre main se niche dans la Sienne, et Ses bras la contiennent, et plus rien ne compte que l’immensité verdoyante de leur tendresse.

mercredi 9 mars 2011

Episode 9 : les gourmandises d’Eugénie





















La tige argentée creuse une fente délicate et onctueuse dans le terreau brun criblé d’alvéoles
S’y enfonce toute entière avec lenteur
En ressort gorgée d’écume mousseuse
Se livre au supplice de lèvres avides se tordant d’impatience
Puis s’enlise de nouveau en spirales dans le fouillis crémeux
A la recherche de trésors inconnus.
Eugénie recueille d’une langue joyeuse et féline les fragments chocolatés qui tachètent ses babines, et laisse échapper un petit cri de plénitude finale.
Frissons de tendresse sur des épaules dénudées.
Dégustations partagées.
Zone d’espace-temps conçue pour eux seuls.
Il s’enfonce tout entier avec lenteur dans la tiédeur ouatée de son sexe
Pour ne plus en sortir et se gorger de caresses
Vient cueillir à ses lippes fraîches des arômes de ganache musquée
Vient pêcher sur ses seins des perles de baisers nacrés
Se laisse engloutir dans la crème de volupté qu’elle fouette sans cesse
La regarde s’immerger dans les bassins secrets de son plaisir
Lui dit la beauté de son âme toute nue
Lui dit la beauté lactée de Son univers quand elle se trouve en son centre
Lui donne en bouchée des mots tendrement nappés de vice qu’elle avale insatiable
S’enroule de nouveau dans les spirales de son cul
Redécouvre tous ses trésors
Apportant une réponse plaintive à chacune des gourmandises d’Eugénie.
Ils restent ainsi un instant/pour toujours en équilibre sur le fil fragile des désirs
Jusqu’au tressautement terminal
Jusqu’au point de bascule dans les abîmes gourmandes
Dans la plénitude apaisée de leurs corps et esprits rejoints.

Illustration : Femme, Galya Didur

mercredi 9 février 2011

Episode 7: Elévations

Une enfilade d’escaliers de fer entraîne Eugénie vers un point d’altitude douché de lumière ; elle ignore le terme de ce voyage vertical, mais n’oppose aucune résistance, Il lui a dit qu’Il l’attendrait en bout de course.

Quelque temps plus tôt elle avait lancé sa pelote de soie vers le ciel sans qu’elle ne retombe ; elle s’était suffisamment gorgée de luxure, et sa traversée transgressive avait fini par s’embrumer d’amertume. Elle avait perçu les biais et les faux-semblants de ces jeux de rôle, leurs dangers et leurs impasses, et s’était extirpée de la nasse de ses désirs avant qu’ils ne la retiennent définitivement dans leurs rets.

Elle n’avait pas pour autant renoncé à Le voir ; les mailles de Ses filets étaient d’une autre nature, douces et amples, elle aimait s’y laisser prendre, elle s’y sentait en sécurité ; entre Ses bras la volupté se teintait toujours d’une intense bienveillance, et leurs abandons étaient d’autant plus complets qu’une confiance infinie y régnait sans partage.

Eugénie progresse lentement, dans le ronron des rails graisseux du grand escalator ; un vent venu d’en haut caresse son visage d’ange, et recompose sans cesse le tracé aléatoire de ses longs crins brun-blonds.

Une large baie vitrée surplombe l’océan des tôles grisées et des façades de corail, d’où surnage une flèche de cuivre pointée vers le ciel, offrant négligemment les charmes de ses dentelles d’acier à leurs regards.

Les lèvres d’Eugénie cheminent avec nonchalance sur la nudité d’une jeune femme aux yeux marine noyés dans une chevelure fardée de noir et aux jambes striées de soie rouge, la découvrant de bas en haut, s’attardant à chaque rebord, déclenchant à chaque halte un soupir de plaisir.

L’escalier mobile l’avait relâchée au milieu d’une étendue de dalles blanches aveuglées de soleil, sur laquelle Il se tenait, l’attendant tranquille. Accoudé à la balustrade, le regard perdu vers les collines entourant la ville, Il lui avait alors fait part de son projet.

Il avait goûté pour elle à une jeune femme, Il la savait sincère et bienfaisante, Il lui proposait d’y plonger à son tour ; Eugénie Lui était si précieuse, Il voulait cicatriser ses blessures, effacer la trace sombre que la malveillance avait laissée dans son cœur ; Il avait la folle intuition que l’union de leurs chairs conjurerait tous les maléfices, Il lui proposait une sortie du libertinage par le haut, par la conjonction de leur belle complicité et d’une âme invitée sachant comme eux attendrir le vice.

Eugénie et la jeune femme s’enchâssent dans la tendresse, les mains posées délicatement sur les fesses au teint pâle de chacune, et leurs petits seins blancs en tout point semblables joignent leurs fruits roses, et leurs bouches feignent de s’éviter avant de se dévorer de nouveau, et les cheveux brun-blonds se colorent d’ébène.

Eugénie pense à Lou, au retour de l’innocence. Il les observe, jumelées dans l’échange langoureux de leurs désirs symétriques. Eugénie se tient devant Lui plus belle et libre que jamais, lovée dans la sincérité de ce qu’elle donne et reçoit en retour, allant chercher dans des gestes d’enfant le secret de frissons adultes, se délivrant des souffrances du passé sous la pluie rédemptrice des caresses, couvée par l’onde de chaleur rassurante de Son regard.

Les escalators ont tous été mis à l’arrêt dans un fracas métallique, la redescente n’est plus envisageable, le temps est suspendu.

Il se tourne en souriant vers la ligne argentée du relief urbain et s’éloigne, les laissant gravir toutes les deux une à une des marches feutrées de velours, vers les cimes vierges et violacées de leurs râles de jouissance.

Illustration : Nuages sur la ville, Michel Caron

vendredi 4 février 2011

Episode 6 : Les vacances d’Eugénie

Le cylindre de papier blanc achève de se disloquer sous la chaleur des braises, puis s’écrase sur le sol. Il porte vite un autre cylindre à ses lèvres, qu’aussitôt Il enflamme.

Il n’avait eu aucune nouvelle d’Eugénie depuis plusieurs nouvelles lunes. Il la savait dans un pays lointain, plongée dans une ville bouillonnante, Il cherchait à se la représenter dans ce contexte étranger, sans pouvoir y parvenir autrement que par le biais du fantasme.

La ligne rougeoyante progresse lentement sur le cylindre, le convertissant implacablement en volutes dispersées dans la nuit tranquillement glaciale.

Il avait cherché à étouffer le manque d’elle dans un excès de vice. Aucun des plaisirs auxquels Il s’était livré n’avaient pourtant permis de dissiper la gêne qu’Il éprouvait, ce n’étaient là que des abandons fugitivement palliatifs mais très vite son image mentale Le submergeait de nouveau.

Le cylindre s’abîme sur le terreau gelé, dans un dernier jaillissement de flammèches ; Il en extirpe un autre de Son manteau sombre, et le soumet au désir insistant d’un feu jaune et noir.

Une jeune femme au corps blanc et longiligne s’attarde avec avidité sur Son sexe, Il observe le fleuve au débit ralenti de ses cheveux brun-blonds, elle relève un instant la tête, d’un regard fixe et fier ; Il croit un instant discerner le visage d’Eugénie qui surgit de la pénombre ; plus tard encore Il jouirait dans un cul qui ne serait pas le sien, quels que soient les subterfuges qu’Il emploierait pour s’en convaincre.

Le petit étui blanc se désagrège doucement sous la lune boréale, les crépitements du brasier que Ses lèvres raniment par saccades perturbent seuls l’emprise infinie du silence. Bientôt une nouvelle proie fine et tubulaire devra être offerte à la morsure ardente du jet de gaz bleuté.

La jeune femme se penche toujours au chevet de Sa queue écarlate ; Il aurait voulu qu’Eugénie se trouvât au cœur de ce cercle de volupté, sans elle ces agapes prenaient un tour incomplet, qui ne faisait que surligner son absence d’un trait noir et rose.

Depuis qu’Il avait rencontrée Eugénie, leur relation s’était faite chaque jour plus profonde et complexe, débordant largement le cadre du mélange des chairs ; elle Lui avait offert la splendeur diaphane de son cul, Il avait déboutonné à l’envi le secret de ses seins, Il s’était repu de son nectar, Il s’était naufragé dans la tendresse enfantine de son sourire, mais au-delà, elle Lui avait par fragments dévoilé la beauté pure et fragile de son âme, une beauté de Lui jusqu’alors inconnue, violemment libre ; cette beauté-là surtout L’irradiait, Le délivrait de Ses noirceurs, Lui donnait terriblement envie de prendre soin d’elle et de la protéger, toujours plus, sans pour autant attenter à cette liberté qu’Il admirait tant chez elle.

Des mains fébriles actionnent une fois encore le silex pivotant d’où jaillira le feu libérateur ; la combustion ne doit pas avoir de cesse, la fumée grise ne doit pas quitter le système pulmonaire, afin qu’elle y délivre à flux sanguin continu ce délicieux poison qui engourdit les synapses et embrume Ses pensées d’un voile d’inconscience.

La pointe rougissante d’un cylindre enroulé de gris dessine des arabesques dans la nuit sans lune de la chambre. Eugénie est nue, le corps transi de jouissance, la main qui ne tient pas le cylindre se referme tendrement sur une verge à demi détendue.

Eugénie ranime une dernière fois le foyer poussif de tabac blond, et porte son regard par-delà la fenêtre. Elle sait qu’elle Le reverra bientôt, elle sait qu’elle pourra alors de nouveau et sans craintes éteindre toutes les cigarettes et venir se blottir contre Lui.


Illustration: Baigneuse se coiffant, Pierre-Auguste Renoir

vendredi 21 janvier 2011

Episode 5 : La disparition d’Eugénie

C’est un amas de lave et d’éther duquel des évènements accidentels et successifs ont fait jaillir des systèmes organiques toujours plus complexes, ramifiés, interdépendants, fragiles.

C’est un équilibre patiemment tissé, qui vacille sous les coups portés par le plus subtil de ces systèmes, fier et dominateur.

C’est une cité européenne plusieurs fois millénaire, dont le cœur minéral renferme parmi les plus beaux témoignages de ce système avant la rupture d’équilibre, posés là à jamais par les tailleurs de pierre.

C’est un point de coagulation du système parmi d’autres, où s’agglomèrent sa beauté et sa bassesse, où le médiocre fraye avec la grandeur, où les plus pures élévations côtoient la plus abjecte des laideurs.

C’est un repli de cette ville où s’aventurent rarement les voyageurs, un espace laissé en paix par le libre échange planétaire, strié de rues aux noms anciens et oubliés des deux côtés du boulevard, aux flancs desquelles s’étalent des commerces qui n’ont plus cours autre part.

C’est un petit hôtel au fond d’une de ces rues charmantes, à l’entrée élégante et discrète, où l’on ne sonne jamais par hasard, et où l’on vient s’étreindre loin du bruit épuisant du système et de ses assommoirs.

C’est Eugénie dévêtue, rêveuse détendue, étendue sur le ventre dans cet hôtel caressant, sur un matelas de rouge et de noir, c’est un sexe d’homme qui s’enfouit lentement mais sans cesse en elle, ce sont des mains d’homme qui irisent sa nuque de caresses, c’est son demi-soupir de bien être tandis qu’elle s’assoupit enfin, sous la protection rassurante de Son regard.

Ce sont des heures de mise à l’abri du système, des instants pointés de suspension tandis que dehors tout implose.

Ce sont des journées où Eugénie aime s’autoriser ainsi à disparaître, où les téléphones sonnent dans le vide, où on l’aurait cherchée en vain dans le fracas universitaire, où nul ne savait où la joindre, tandis qu’elle joignait son jeune corps nu et frissonnant au Sien.

Ce sont des mains qui se trouvent sans se chercher dans des arrière-salles au passé tabagique, ce sont des sourires qui se répondent sans rien demander en retour, ce sont des petits seins dressés sur lesquels une langue s’attarde avec douceur, c’est le cri-cri du satin bleu sur la peau d’Eugénie quand la splendeur de son cul se dévoile, ce sont Ses doigts léchés avidement au cœur de la jouissance, ce sont des lèvres perlées de champagne qui se frôlent puis se serrent l’une contre l’autre, ce sont deux êtres qui ont quitté le système, et qui voudraient l’oublier pour toujours.

Ce sont des mots qui n’ont plus besoin d’être prononcés, ce sont des cigarettes qui s’allument d’elles-mêmes, ce sont des rêves partagés, ce sont des idées belles et justes qu’elle défend avec espoir.

C’est Eugénie épuisée par la vie et le vice, qui vient ronronner sur une épaule bienveillante, tandis que le néon de l’hôtel grésille dans le noir.

C’est une verge tendue que les doigts d’Eugénie cajolent, ce sont des bras qui la cerclent, c’est son cul qu’elle Lui offre, dans lequel Il se perd, dans lequel elle Le retrouve, dans lequel Il se serre, dans lequel il se relâche.

C’est un amas de lave et d’éther, sur lequel deux corps noyés s’abritent l’un l’autre, puis enfin disparaissent, dans la tendresse secrète et sucrée de leurs amours.


Illustration: Le Baiser (détails), Gustav Klimt

jeudi 6 janvier 2011

Episode 4 : Eugénie et la lanterne rouge

Depuis des mois Eugénie avait inlassablement déroulé le fil de ses désirs sur sa pelote de soie, s’offrant à tant d’hommes et de femmes qu’elle avait il y a longtemps cessé tout décompte. Il arrivait que le vertige de ces ivresses la saisît en plein jour, dans un de ces moments de flottement désœuvré qui hachaient ses heures étudiantes.

Elle se sentait à découvert alors ; l’enchaînement mécanique des amphis bourdonnants ne suffisait plus à étouffer son tumulte intérieur, elle croyait lire dans des regards anonymes la connaissance de ses nuits illicites, elle s’imaginait mise à nue et jetée en pâture aux appréciations sournoises de ces cercles malfaisants qui pullulaient dans les couloirs universitaires, de cette clique aux idées prémâchées et à la pensée paresseuse qu’elle abhorrait.

Paradoxalement pourtant, tandis qu’elle renonçait de plus en plus longuement et fréquemment à la pleine possession de son corps et en accordait l’usufruit aux appétits voluptueux et voraces de sexes inconnus, elle se fabriquait une lucidité de plus en plus aigüe sur le monde. A mesure de ses abandons, elle affermissait le contrôle de sa pensée, à chacune de ses jouissances elle avançait d’un pas vers le détachement de la sagesse, et chacun de ses cabrements de plaisir était aussi un geste de triomphe sur le gris de la vie.

Dans cette dérive de la chair et cette réappropriation de l’âme, Il était devenu son point d’ancrage, et l’Etablissement le rendez-vous bienveillant de leurs conspirations sensuelles.

L’Etablissement. Un endroit oublié des cartes, un immeuble qui se tait pour toujours, une cache à l’abri de la foule, un numéro de rue pour seule enseigne, qu’on n’évoque qu’à voix feutrée et le cœur battant.

L’Etablissement. Une chambre d’avant-guerre, inondée de lumière d’ambre, une lanterne rouge fixée au mur. Eugénie gainée de bas pourpres agenouillée devant Lui. Lui l’unique dépositaire de ses secrets, Lui qui les consigne minutieusement dans un journal clandestin connu d’eux seuls, Lui qui nappe de tendresse la violence de leurs désirs, Lui qui ne lui cache plus ses failles depuis longtemps.

L’Etablissement. Un lieu souillé de stupre, que deux êtres repeignent de douceur. Les seins d’Eugénie plaqués contre la fenêtre froide, un sexe dressé contre son cul. Il Lui dit qu’il veut exposer sa beauté rédemptrice et débauchée à la médiocrité du monde, Il dit que son cul absout tous les crimes de l’homme, elle jouit de la fierté qu’elle lui procure dans le vice.

L’Etablissement. Un plafond serti de miroirs, deux corps ensevelis qui se démultiplient dans la pénombre sanguine, la chevelure d’Eugénie qui s’écoule tranquille tandis que ses lèvres redessinent à l’envi les contours de Son sexe brûlant.

Eugénie assise rêveuse sur Sa queue, ondulant à jamais sous Ses tendresses, délivrée de ses peurs enfantines, un brasier ranimé sans cesse, tous les sabliers ont été placés à l’horizontale, la lumière ne déclinera plus.

Des rubans de satin bleu serrent les poignets d’Eugénie de part et d’autre des barreaux de fer forgé du lit de la chambre de l’Etablissement. Mi-esclave de Ses désirs mi-affranchie, sa bouche se remplit de chair rose et musquée. Eugénie reçoit Son cul en offrande, elle ne refuse pas cette communion, ni les paroles douces et crues qui l’accompagnent.

Ce sexe qu’elle absorbe sans répit, c’est autant le Sien que celui des autres, il les résume et les transcende, et ces doigts et cette langue qui la fouillent puis déposent sur ses lèvres un peu de sa jouissance ravivent le souvenir de celles et ceux qui ont précédemment puisé à sa source chaude.

Il se délivre enfin violemment dans son cul tandis qu’elle suce langoureusement Ses doigts, gémissante et frissonnante. Il n’y a plus alors d’autre horizon que le reflet de leurs corps blottis, pétrifiés de tendresse, projeté sur le tain du miroir.

Le déroulé de la pelote de soie s’est interrompu.

Une fin d’après-midi dans un quartier inutile. Trois coups frappés à la porte d’une chambre tapie au fond de l’Etablissement, que l’on gagne par un vieil ascenseur aux ampoules vacillantes. La servante laisse entrer une procession d’hommes et de femmes nus, le visage cousu de loups bordés de dentelle noire. Eugénie croit reconnaître le peuple de l’ombre auquel elle a concédé ses charmes par ces nuits sans lune. Loups et louves se disposent autour d’eux en silence. Eugénie Le regarde éberluée ; Il lui sourit et l’embrasse doucement, puis se penche à son oreille.

Les mots qu’Il lui murmure alors disparaissent dans le puits sans fond du miroir.

Illustration : le Baiser, Henri de Toulouse-Lautrec

mardi 28 décembre 2010

Episode 3 : L’aveu d'Eugénie

Deux peaux de tambour blanches tendues et bombées, courbes idéales. A chaque battement de La paume, un motif de pourpre s’imprime sur la pulpe neigeuse. Eugénie reçoit son châtiment en silence, réprimant à chaque pulsation un hoquet plaintif teinté de plaisir.

Elle n’avait pu se défaire de Son emprise depuis la Nuit des Bougeoirs. Il ne l’avait certes pas menacée, leurs échanges n’étaient pas toujours réguliers d’ailleurs. Il l’avait encouragée dans sa traversée de l’inavouable, ne traçant aucune frontière dans ce qu’il lui autorisait. Il avait posé une condition. Elle devrait Lui dire ce qu’il était advenu, Lui détailler le récit de ses transes.

Eugénie avait tenté d’échapper à Sa sphère. Elle multipliait les audaces, plus rien ne lui semblait impossible à présent, elle se laissait porter par le ressac de ses désirs, au gré du hasard et des impulsions. Elle revenait toujours pourtant vers Ses sombres rivages. Il faudrait qu’elle Lui dise, elle éprouverait un besoin impérieux de connaître Son jugement, afin qu’Il fixât les termes de la sentence.

Le rituel s’était établi de lui-même. Elle Le rejoignait en journée dans un lieu convenu à l’avance, retirait à la hâte devant lui sa tenue d’étudiante. Parée de dentelle, elle pouvait enfin se décharger devant lui de son secret, soulagée et fébrile. Très vite ensuite des gestes fermes mettaient au jour ses fesses tremblantes. Une main s’abattait à plusieurs reprises, tandis qu’une autre zébrait son dos nu d’arabesques caressantes. Après quoi Il lui dirait ce qu’Il convenait qu’elle exécutât.

C’est ainsi qu’elle avait décrit cette nuit passée avec un garçon de ses connaissances, et la compagne de ce dernier qui s’était jointe, impromptue, à leur cercle de plaisir. Les heures brûlantes qui s’étaient ensuivies, elle les avait rêvées depuis des lunes. Elle Lui avait avoué avoir cessé de penser à Lui alors, délicieusement ébahie d’être le jouet docile de ses deux improbables amants. Jusqu’au point du jour, elle s’était cru délivrée de son Signe indien.

Mais dès le lendemain le besoin de Lui dire avait ressurgi, croissant, irrépressible.

Un samedi après-midi de janvier, un appartement parisien éclairé par une faible lumière rasante. Eugénie se tient devant Lui, entourée par le garçon et sa compagne.

Le projet qu’il lui avait exposé était simple et redoutable. Ramener devant Lui ce couple auquel elle s’était livrée, les Lui livrer à son tour. Qu’ils rejouent devant Lui leurs fantaisies nocturnes, il déciderait sur le moment du rôle qu’il s’attribuerait dans ce théâtre d’ombres. Enfiévrée par le goût du jeu et du vice, Eugénie avait su trouver les mots pour les convaincre, sans s’étendre sur la nature exacte de ses relations avec Lui.

Eugénie se tient donc devant Lui, enlacée par ces deux êtres à la beauté ravageuse. Elle embrasse longuement le jeune homme, tandis que sa compagne la baise tendrement sur la nuque, tressant des motifs imaginaires sur ses mèches de brun et de blond.

Le jeune homme est debout, le torse doré sous la lumière rasante, Eugénie agenouillée dégrafe les jointures du coton bleu délavé, la verge longue et fine s’engouffre immédiatement entre ses lèvres, la jeune femme la surplombe, les mains plongées dans sa chevelure, et dévore la bouche de son compagnon. Sans cesser son délicieux ouvrage, Eugénie Lui jette un regard tendre, Il ne la quitte pas des yeux. Un sexe dressé pointe vers elle, le Sien.

Eugénie et la jeune femme côte à côte, affairées sur l’objet de leurs désirs bouillonnants. Elles se partagent et s’échangent ce sexe que l’une connaît mieux que l’autre, elles en divisent les contours, par instants leurs lèvres se frôlent, à d’autres elles s’interrompent pour les joindre complètement, et mêler et leurs langues et l’arôme musquée, et le jeune homme caresse alternativement leurs chevelures défaites.

Eugénie est maintenant totalement offerte et gémissante. Il regarde sa bouche plongée dans la cavité soyeuse de la jeune femme, dont elle recueille l’orgeat à grandes lampées. Baignée de caresses, elle s’abreuve de la jouissance de son amante, cherchant à maintenir ses lèvres à hauteur, le corps cadencé par les secousses du jeune homme, qui depuis longtemps s’est invité en elle, et accélère, les mains crispées sur son cul perlé de sueur.

D’autres mains se posent sur les reins frêles et trempés d’Eugénie, elle sait que ce sont Les siennes. Quittant un instant le cocon dégorgeant de la jeune femme, elle englobe Son sexe frénétiquement, le regard tourné vers le haut. Elle Le voit baiser les lèvres de son amante, puis celles du jeune homme, et toutes leurs caresses convergent alors vers elle.

Noyée dans l’étendue de sa jouissance, Eugénie ferme les yeux et sourit. Le cercle se referme, enfin complet, sur elle, quatre désirs s’entrecroisent et se complètent, plus rien n’est impossible, le Sabbat ne se terminera qu’à l’aube, une fois toutes les promesses accomplies.

Illustration : Edvard Munch, Madonna

samedi 18 décembre 2010

Episode 2 : Eugénie et les 36 chandelles

Un soir gris et floconneux de décembre descend sur Eugénie, qui aspire ses 20 ans à pleins poumons, jolie touffe de tabac blond-brun enroulée dans une écharpe de riz blanc. Elle n’avait plus eu de nouvelles de Lou depuis mille lunes, et après leurs dernières effusions d’autres corps nus s’étaient succédés contre le sien. Son inquiétude consubstantielle et ses envies souterraines n’avaient fait que croître, au rythme implacable de ses découvertes, de ses désirs mal contenus et de ses rencontres éphémères.

Sous le faisceau livide et pétrifié du révèrbère, Eugénie termine en tremblant une cigarette. Elle se tient devant la porte d’un grand immeuble ancien du centre de Paris. C’est ici que le point de rencontre a été fixé, Il lui a dit de n’appeler qu’une fois arrivée devant la grande porte en fer forgé noir, que d’autres instructions lui seraient alors communiquées.

Ses études de droit étaient parvenues par périodes à cantonner son esprit à des occupations licites, mais très vite le désir avait à nouveau serré son coeur, et il ne lui suffisait alors que de quelques connexions rapides, d’échanges de courriels suggestifs et explicites, et de nouvelles promesses pouvaient s’accomplir.

C’était différent cette fois. Son correspondant l’avait d’emblée rassurée et inquiétée simultanément : la langue et le style employés étaient riches, et élégants, et tranchaient avec la noire crudité des intentions exprimées. Elle n’avait d’abord laissé la discussion s’entamer que par goût du jeu et de l’imaginaire, tant les suggestions qui étaient faites lui semblaient impensables. Néanmoins le dialogue s’était poursuivi. L’homme ne se montrait jamais insistant, pourtant elle ne parvenait pas à couper court aux échanges. Il ne lui dévoilait ses projets que par fragments progressifs, elle brûlait d’en savoir toujours plus. Elle se dévoilait peu à peu par les mots, sans pouvoir cesser de répondre aux questions qui surgissaient sur l’écran, d’abord vagues et anodines, puis de plus en plus précises, pressantes et intimes.

Elle ne refusa pas de se décrire jusqu’aux moindres détails. A Sa requête elle exposa longuement ses fantasmes, jusqu’aux plus inavouables. Elle ne parvint pas à ne pas lui communiquer son numéro de mobile, et dès lors les messages texte se mêlèrent aux courriels, à intervalles de plus en plus brefs. Elle se sentait contrainte d’accéder à ses multiples demandes, il mettait en phrases les pulsions qu’elle avait confessées avec une telle habileté qu’elle en voulait davantage, elle se pliait aux instructions précises qu’il lui adressait et devait lui en rendre compte une fois la tâche accomplie.

Lorsqu’Il lui annonça en quelques lignes qu’elle était désormais prête pour la séance qu’Il lui destinait, toute capacité de résistance avait été obérée chez Eugénie depuis bien des courriels. Elle brûlait de s’y rendre, et ne parvenait plus à cesser d’égrener les jours et les heures qui la séparait de l’heure H, ne continuant que machinalement à se rendre à l’université, fuyant les conversations des camarades, laissant constamment flotter le regard par-delà les amphithéâtres, vers ce soleil noir qui la dévorait.

Eugénie n’ignore rien de ce qui va se produire, puisqu’Il lui a décrit minutieusement. Elle se tient devant les battants de fer, terrorisée et submergée par le désir. Automate, elle actionne la séquence de numéros sur le cadran du téléphone, une voix grave et blanche résonne dans la nuit cathédrale. Sa voix, qu’elle entend pour la première fois. Il énonce une nouvelle séquence à composer sur le boîtier aux chiffres bleutés, elle s’exécute. Le fer forgé s’ébranle et l’agrippe. Il lui indique un long couloir à emprunter, Eugénie obéit et avance à pas ralentis sous les faibles grésillements minutés.

Une porte entrouverte, un escalier de service, Il a dit de le gravir et de compter quatre paliers, qu’il en soit ainsi. Un vieux tapis de velours, la tête d’un chat sculpté sur une porte en bois peint, Il a dit de se tenir immobile jusqu’à nouvel ordre, qu’il en soit ainsi. On lui ouvre, des bras la saisissent, c’est Lui. Elle n’est pas surprise par son apparence, il ne s’était pas décrit. Il porte un costume sombre, et tient une flûte de champagne, qu’il place dans sa main et porte à ses lèvres. Au-delà du vestibule sombre, des conversations et des rires feutrés. Elle voudrait l’embrasser, Il l’entraîne par la taille et la conduit vers les murmures.

A son arrivée dans la pièce, tous se sont tus. Eugénie ne perçoit que faiblement leurs visages sous la lumière vacillante des chandeliers disposés sur les guéridons. Ils sont une poignée, ils semblent avoir dépassé la trentaine, certains sont accompagnés d’une jeune femme au regard vide, tous sont masqués. Il leur dit juste que c’est Elle. Le silence s’installe à l’exception des crépitements des candélabres. Une boîte en carton noir et rose est posée sur une sorte d’autel, Eugénie comprend et s’exécute, qu’il en soit ainsi.

A présent Eugénie est entièrement nue sous la flamme des bougies, le salon reste confit dans le silence. Il se place derrière elle, laisse glisser les mains sur ses seins, et la cambre en arrière, offrant son sexe aux regards. Eugénie Le sent se tendre contre son cul à travers le tissu. Ses jambes pâles et fines se cabrent de peur et d’excitation incontrôlées. Il lui indique le coffret noir et rose, elle en extrait les dentelles fines qu’il lui a ordonné par avance de revêtir.

Il pose une main sur son cul tressé de tulle noire, l’autre tenant un chandelier, et la mène l’un après l’autre aux hommes assis que les flammes font surgir de l’ombre. Chaque présentation est muette et identique : des mains froides recouvrent ses seins et ses fesses, des doigts glissent et fouillent son sexe ganté de noir et perlé de désir. Il la ramène devant l’assemblée, Eugénie sait qu’elle doit maintenant choisir, elle sait que ce choix est le seul qu’Il lui permettra. Elle désigne en tremblant l’un des convives muets, qui se lève et vient se placer devant elle.

Les lèvres d’Eugénie s’attardent longuement sur le sexe brûlant de l’inconnu, personne n’a eu à lui dire quoi faire, Il avait écrit le scénario. Elle sait qu’elle ne pourra Lui accéder qu’après, elle sait qu’Il se tient derrière elle et la jauge, alors Eugénie dévore de plus belle la verge qui lui est offerte, des dizaines de fois elle l’engloutit, puis lui fait refaire surface, sa langue explore tous les continents qui se découvrent, tandis que des mains fermes s’agrippent à sa chevelure défaite.

Eugénie est nue, accroupie sur le sol tapissé de velours, et gémit, le visage plongé dans un nuage de dentelle noire. Un sexe anonyme la traverse, un bruit sourd de chairs qui se heurtent trouble le silence de la nuit sous-marine. Elle parvient à relever la tête, et ses yeux mouillés de plaisir fixent le sexe dressé qui l’attend patiemment :

Celui dont elle a rêvé nuit et jour, et aux assauts duquel elle livrera son cul comme convenu tout à l’heure dans une ultime danse de jouissance, qu’il en soit ainsi.

Illustration : Egon Schiele, Jeune femme  demi nue allongée

Episode 1 : le temps des découvertes.

Seize fois le printemps avait mis les cerisiers en fleurs, depuis qu’Eugénie avait posé son premier regard étonné et inquiet sur le monde. La saison touchait à sa dernière extrémité, les journées au lycée s’écoulaient toutes fenêtres ouvertes, et les psalmodies fatiguées d’enseignants monocordes se dispersaient au-delà de la cour.

Eugénie avait remarqué Lou dès les premiers jours de septembre. Elle avait jailli au détour d’un couloir : de longs cheveux dorés qui gouttaient jusqu’aux reins, un sourire violemment sincère, un trouble jusqu’alors inconnu. La possibilité de l’attirance pour son sexe avait bien déjà traversé son esprit malicieux et créatif, mais jamais sous une manifestation concrète ; l’idée lui plaisait, elle en percevait la douce et pénétrante promesse, mais aucune camarade ne lui faisait vouloir l’accomplir.

De nombreuses semaines avaient débuté, puis s’étaient achevées, sans qu’Eugénie ne prenne d’initiative. Sa timidité maladive l’avait retenu bien sûr, mais il y avait autre chose. Elle aimait l’observer en retrait, petit animal joyeusement blond, toujours en mouvement dans la nuée des prédateurs. Cent fois tard le soir, le ventre serré, elle avait scénarisé une première conversation, un premier café, une cigarette roulée et partagée en riant, réécrivant inlassablement les dialogues, ajoutant un détail négligé, retirant un mot jugé maladroit. 

Cela survint. C’était en attendant l’autobus un soir d’après-cours, elles étaient toutes les deux seules devant la cage de verre. Tremblante, Eugénie n’avait pourtant pas cherché à fuir, elle avait laissé l’inévitable se produire. Lou avait évoqué l’air de rien un cours qu’elles partagaient, puis, plantant ses grands yeux bleu clair dans les siens, avait réclamé son prénom. Elle avait dit aimer ces sonorités rares et anciennes. Elle l’avait prononcé lentement et gaiement à plusieurs reprises, le gardant un long instant en bouche avant de le laisser s’échapper complètement, et à chaque mouvement de ses lèvres lustrées Eugénie avait frémi.

Par la suite elles s’étaient évidemment revues, d’abord à nouveau par hasard, puis très vite de façon intentionnelle. Des habitudes s’étaient instaurées : café nicotiné dans le flou du matin, philosophie débutante, évaluation d’un garçon fréquenté. Puis des textos et courriels par centaines, elles n’étaient jamais à court de mots, de réflexions, d’échanges de point de vue, d’enthousiasmes éphémères et communs, de missives d’encouragements réciproques face à la cruauté de la vie lycéenne. Cela ressemblait à une belle et profonde amitié adolescente, et à aucun moment Eugénie n’avait été capable de déceler l’indice d’autre chose, Lou papillonnait de garçon en garçon et ne semblait pas éprouver plus qu’un lien fraternel et un attachement sincère.

Toutes ces étapes de leur parcours reviennent à l’esprit d’Eugénie en cette fin d’après-midi de printemps, tandis qu’elle dévisage discrètement Lou qui lui sourit par intermittence avec tendresse. Les deux jeunes filles sont seules, supposées s’atteler ensemble à un exposé pour ce cours qui les a fait se parler la première fois. La chaleur précoce de ce début de juin leur a fait quitter tout vêtement inutile ; Eugénie porte un chemisier en coton blanc et un pantalon large, Lou une robe noire très courte qui découvre de longues jambes pâles et fines cerclées de ballerines rouges. Elles sont assises l’une près de l’autre sur le sofa aux couleurs passées, compulsant distraitement les documents de travail étalés sur la table basse, buvant à petites gorgées elle une vodka mandarine Lou un vin blanc noyé de sirop de cassis.

Lou se lève pour reprendre un peu de liqueur, Eugénie reste assise, le cœur battant. Lou se tient maintenant debout, verre posé contre la joue. Elle a ôté une ballerine, le pied aux ongles bleutés glisse négligemment sur une jambe diaphane. Ses grands yeux marine se figent. Eugénie est ravagée par le désir. Un silence d’avant-tempête engloutit le salon. Lou se rapproche à hauteur du visage d’Eugénie sans un bruit. Leurs regards ne se croisent plus. Des mains tremblantes se posent sur une robe noire, à hauteur des reins. Le tissu vient recouvrir le nez et la bouche d’Eugénie, Lou reste immobile. Elle perçoit la chaleur perlée d’une peau frissonnante à travers l’étoffe. Des mains relèvent lentement la robe, Lou reste immobile. La bouche d’Eugénie  dépose un lent baiser sur le ventre à hauteur du nombril, ses mains emplissent peu à peu les fesses pommelées de Lou, Lou reste immobile. Le rouge d’un string vibre sous les spasmes musculaires. Lou plonge des mains tendres dans la paille des cheveux d’Eugénie. Eugénie baise le tissu rouge et humide, caresse d’un mouvement lent et circulaire les fesses tendues.

La robe noire s’étale sur le sol. Lou se tient toujours debout, les seins dressés sous la lumière rasante. Elle lui dit : « mange moi ». Des mains font tomber le mince rideau rouge sur les chevilles de Lou, qui l’écarte avec le pied. Les lèvres d’Eugénie glissent sur le chemin de foin blond, jusqu'à la source. De fines phalanges élargissent avec précaution le sexe de Lou, pour le trouver rosi et trempé de désir. Eugénie goûte Lou, avec les doigts d’abord, puis mêlant sa langue aux chairs confuses d’excitation retenue trop longtemps. Lou réprime un hoquet de plaisir, et ouvre les cuisses plus encore. Les mains d’Eugénie tiennent le cul de Lou bien ferme maintenant. Sa bouche est plongée toute entière dans les replis suintants de Lou, qui s’agrippe aux cheveux d’Eugénie, lui maintenant le visage dans les profondeurs de son désir.

Eugénie a retiré son chemisier blanc, Lou est allongée sur le sofa, cuisses ouvertes, joues empourprées, regard éperdu. Enfin Lou tend la bouche - Eugénie la dévore, les lèvres et la langue encore luisantes de la jouissance recueillie entre ses cuisses un peu plus tôt. Leurs poitrines se joignent, leurs mains se serrent, Eugénie explore infatigablement l’étendue de peau blanche, encouragée par les gémissements qu’elle fait surgir à chaque halte, et les doigts de Lou qui glissent dans son sexe et la guide vers l’endroit choisi.

Elles restent de longs instants encore à se découvrir, à fouiller le corps de l’autre, à l’envahir, à en extraire toutes les ressources, jusqu’à finir blotties l’une enchevêtrée dans l’autre, le corps nu enduit de leurs jouissances, les yeux noyés de larmes de plaisir. 

Illustration: Gustave Courbet, Le Sommeil