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samedi 18 décembre 2010

Episode 2 : Eugénie et les 36 chandelles

Un soir gris et floconneux de décembre descend sur Eugénie, qui aspire ses 20 ans à pleins poumons, jolie touffe de tabac blond-brun enroulée dans une écharpe de riz blanc. Elle n’avait plus eu de nouvelles de Lou depuis mille lunes, et après leurs dernières effusions d’autres corps nus s’étaient succédés contre le sien. Son inquiétude consubstantielle et ses envies souterraines n’avaient fait que croître, au rythme implacable de ses découvertes, de ses désirs mal contenus et de ses rencontres éphémères.

Sous le faisceau livide et pétrifié du révèrbère, Eugénie termine en tremblant une cigarette. Elle se tient devant la porte d’un grand immeuble ancien du centre de Paris. C’est ici que le point de rencontre a été fixé, Il lui a dit de n’appeler qu’une fois arrivée devant la grande porte en fer forgé noir, que d’autres instructions lui seraient alors communiquées.

Ses études de droit étaient parvenues par périodes à cantonner son esprit à des occupations licites, mais très vite le désir avait à nouveau serré son coeur, et il ne lui suffisait alors que de quelques connexions rapides, d’échanges de courriels suggestifs et explicites, et de nouvelles promesses pouvaient s’accomplir.

C’était différent cette fois. Son correspondant l’avait d’emblée rassurée et inquiétée simultanément : la langue et le style employés étaient riches, et élégants, et tranchaient avec la noire crudité des intentions exprimées. Elle n’avait d’abord laissé la discussion s’entamer que par goût du jeu et de l’imaginaire, tant les suggestions qui étaient faites lui semblaient impensables. Néanmoins le dialogue s’était poursuivi. L’homme ne se montrait jamais insistant, pourtant elle ne parvenait pas à couper court aux échanges. Il ne lui dévoilait ses projets que par fragments progressifs, elle brûlait d’en savoir toujours plus. Elle se dévoilait peu à peu par les mots, sans pouvoir cesser de répondre aux questions qui surgissaient sur l’écran, d’abord vagues et anodines, puis de plus en plus précises, pressantes et intimes.

Elle ne refusa pas de se décrire jusqu’aux moindres détails. A Sa requête elle exposa longuement ses fantasmes, jusqu’aux plus inavouables. Elle ne parvint pas à ne pas lui communiquer son numéro de mobile, et dès lors les messages texte se mêlèrent aux courriels, à intervalles de plus en plus brefs. Elle se sentait contrainte d’accéder à ses multiples demandes, il mettait en phrases les pulsions qu’elle avait confessées avec une telle habileté qu’elle en voulait davantage, elle se pliait aux instructions précises qu’il lui adressait et devait lui en rendre compte une fois la tâche accomplie.

Lorsqu’Il lui annonça en quelques lignes qu’elle était désormais prête pour la séance qu’Il lui destinait, toute capacité de résistance avait été obérée chez Eugénie depuis bien des courriels. Elle brûlait de s’y rendre, et ne parvenait plus à cesser d’égrener les jours et les heures qui la séparait de l’heure H, ne continuant que machinalement à se rendre à l’université, fuyant les conversations des camarades, laissant constamment flotter le regard par-delà les amphithéâtres, vers ce soleil noir qui la dévorait.

Eugénie n’ignore rien de ce qui va se produire, puisqu’Il lui a décrit minutieusement. Elle se tient devant les battants de fer, terrorisée et submergée par le désir. Automate, elle actionne la séquence de numéros sur le cadran du téléphone, une voix grave et blanche résonne dans la nuit cathédrale. Sa voix, qu’elle entend pour la première fois. Il énonce une nouvelle séquence à composer sur le boîtier aux chiffres bleutés, elle s’exécute. Le fer forgé s’ébranle et l’agrippe. Il lui indique un long couloir à emprunter, Eugénie obéit et avance à pas ralentis sous les faibles grésillements minutés.

Une porte entrouverte, un escalier de service, Il a dit de le gravir et de compter quatre paliers, qu’il en soit ainsi. Un vieux tapis de velours, la tête d’un chat sculpté sur une porte en bois peint, Il a dit de se tenir immobile jusqu’à nouvel ordre, qu’il en soit ainsi. On lui ouvre, des bras la saisissent, c’est Lui. Elle n’est pas surprise par son apparence, il ne s’était pas décrit. Il porte un costume sombre, et tient une flûte de champagne, qu’il place dans sa main et porte à ses lèvres. Au-delà du vestibule sombre, des conversations et des rires feutrés. Elle voudrait l’embrasser, Il l’entraîne par la taille et la conduit vers les murmures.

A son arrivée dans la pièce, tous se sont tus. Eugénie ne perçoit que faiblement leurs visages sous la lumière vacillante des chandeliers disposés sur les guéridons. Ils sont une poignée, ils semblent avoir dépassé la trentaine, certains sont accompagnés d’une jeune femme au regard vide, tous sont masqués. Il leur dit juste que c’est Elle. Le silence s’installe à l’exception des crépitements des candélabres. Une boîte en carton noir et rose est posée sur une sorte d’autel, Eugénie comprend et s’exécute, qu’il en soit ainsi.

A présent Eugénie est entièrement nue sous la flamme des bougies, le salon reste confit dans le silence. Il se place derrière elle, laisse glisser les mains sur ses seins, et la cambre en arrière, offrant son sexe aux regards. Eugénie Le sent se tendre contre son cul à travers le tissu. Ses jambes pâles et fines se cabrent de peur et d’excitation incontrôlées. Il lui indique le coffret noir et rose, elle en extrait les dentelles fines qu’il lui a ordonné par avance de revêtir.

Il pose une main sur son cul tressé de tulle noire, l’autre tenant un chandelier, et la mène l’un après l’autre aux hommes assis que les flammes font surgir de l’ombre. Chaque présentation est muette et identique : des mains froides recouvrent ses seins et ses fesses, des doigts glissent et fouillent son sexe ganté de noir et perlé de désir. Il la ramène devant l’assemblée, Eugénie sait qu’elle doit maintenant choisir, elle sait que ce choix est le seul qu’Il lui permettra. Elle désigne en tremblant l’un des convives muets, qui se lève et vient se placer devant elle.

Les lèvres d’Eugénie s’attardent longuement sur le sexe brûlant de l’inconnu, personne n’a eu à lui dire quoi faire, Il avait écrit le scénario. Elle sait qu’elle ne pourra Lui accéder qu’après, elle sait qu’Il se tient derrière elle et la jauge, alors Eugénie dévore de plus belle la verge qui lui est offerte, des dizaines de fois elle l’engloutit, puis lui fait refaire surface, sa langue explore tous les continents qui se découvrent, tandis que des mains fermes s’agrippent à sa chevelure défaite.

Eugénie est nue, accroupie sur le sol tapissé de velours, et gémit, le visage plongé dans un nuage de dentelle noire. Un sexe anonyme la traverse, un bruit sourd de chairs qui se heurtent trouble le silence de la nuit sous-marine. Elle parvient à relever la tête, et ses yeux mouillés de plaisir fixent le sexe dressé qui l’attend patiemment :

Celui dont elle a rêvé nuit et jour, et aux assauts duquel elle livrera son cul comme convenu tout à l’heure dans une ultime danse de jouissance, qu’il en soit ainsi.

Illustration : Egon Schiele, Jeune femme  demi nue allongée

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