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samedi 18 décembre 2010

Episode 1 : le temps des découvertes.

Seize fois le printemps avait mis les cerisiers en fleurs, depuis qu’Eugénie avait posé son premier regard étonné et inquiet sur le monde. La saison touchait à sa dernière extrémité, les journées au lycée s’écoulaient toutes fenêtres ouvertes, et les psalmodies fatiguées d’enseignants monocordes se dispersaient au-delà de la cour.

Eugénie avait remarqué Lou dès les premiers jours de septembre. Elle avait jailli au détour d’un couloir : de longs cheveux dorés qui gouttaient jusqu’aux reins, un sourire violemment sincère, un trouble jusqu’alors inconnu. La possibilité de l’attirance pour son sexe avait bien déjà traversé son esprit malicieux et créatif, mais jamais sous une manifestation concrète ; l’idée lui plaisait, elle en percevait la douce et pénétrante promesse, mais aucune camarade ne lui faisait vouloir l’accomplir.

De nombreuses semaines avaient débuté, puis s’étaient achevées, sans qu’Eugénie ne prenne d’initiative. Sa timidité maladive l’avait retenu bien sûr, mais il y avait autre chose. Elle aimait l’observer en retrait, petit animal joyeusement blond, toujours en mouvement dans la nuée des prédateurs. Cent fois tard le soir, le ventre serré, elle avait scénarisé une première conversation, un premier café, une cigarette roulée et partagée en riant, réécrivant inlassablement les dialogues, ajoutant un détail négligé, retirant un mot jugé maladroit. 

Cela survint. C’était en attendant l’autobus un soir d’après-cours, elles étaient toutes les deux seules devant la cage de verre. Tremblante, Eugénie n’avait pourtant pas cherché à fuir, elle avait laissé l’inévitable se produire. Lou avait évoqué l’air de rien un cours qu’elles partagaient, puis, plantant ses grands yeux bleu clair dans les siens, avait réclamé son prénom. Elle avait dit aimer ces sonorités rares et anciennes. Elle l’avait prononcé lentement et gaiement à plusieurs reprises, le gardant un long instant en bouche avant de le laisser s’échapper complètement, et à chaque mouvement de ses lèvres lustrées Eugénie avait frémi.

Par la suite elles s’étaient évidemment revues, d’abord à nouveau par hasard, puis très vite de façon intentionnelle. Des habitudes s’étaient instaurées : café nicotiné dans le flou du matin, philosophie débutante, évaluation d’un garçon fréquenté. Puis des textos et courriels par centaines, elles n’étaient jamais à court de mots, de réflexions, d’échanges de point de vue, d’enthousiasmes éphémères et communs, de missives d’encouragements réciproques face à la cruauté de la vie lycéenne. Cela ressemblait à une belle et profonde amitié adolescente, et à aucun moment Eugénie n’avait été capable de déceler l’indice d’autre chose, Lou papillonnait de garçon en garçon et ne semblait pas éprouver plus qu’un lien fraternel et un attachement sincère.

Toutes ces étapes de leur parcours reviennent à l’esprit d’Eugénie en cette fin d’après-midi de printemps, tandis qu’elle dévisage discrètement Lou qui lui sourit par intermittence avec tendresse. Les deux jeunes filles sont seules, supposées s’atteler ensemble à un exposé pour ce cours qui les a fait se parler la première fois. La chaleur précoce de ce début de juin leur a fait quitter tout vêtement inutile ; Eugénie porte un chemisier en coton blanc et un pantalon large, Lou une robe noire très courte qui découvre de longues jambes pâles et fines cerclées de ballerines rouges. Elles sont assises l’une près de l’autre sur le sofa aux couleurs passées, compulsant distraitement les documents de travail étalés sur la table basse, buvant à petites gorgées elle une vodka mandarine Lou un vin blanc noyé de sirop de cassis.

Lou se lève pour reprendre un peu de liqueur, Eugénie reste assise, le cœur battant. Lou se tient maintenant debout, verre posé contre la joue. Elle a ôté une ballerine, le pied aux ongles bleutés glisse négligemment sur une jambe diaphane. Ses grands yeux marine se figent. Eugénie est ravagée par le désir. Un silence d’avant-tempête engloutit le salon. Lou se rapproche à hauteur du visage d’Eugénie sans un bruit. Leurs regards ne se croisent plus. Des mains tremblantes se posent sur une robe noire, à hauteur des reins. Le tissu vient recouvrir le nez et la bouche d’Eugénie, Lou reste immobile. Elle perçoit la chaleur perlée d’une peau frissonnante à travers l’étoffe. Des mains relèvent lentement la robe, Lou reste immobile. La bouche d’Eugénie  dépose un lent baiser sur le ventre à hauteur du nombril, ses mains emplissent peu à peu les fesses pommelées de Lou, Lou reste immobile. Le rouge d’un string vibre sous les spasmes musculaires. Lou plonge des mains tendres dans la paille des cheveux d’Eugénie. Eugénie baise le tissu rouge et humide, caresse d’un mouvement lent et circulaire les fesses tendues.

La robe noire s’étale sur le sol. Lou se tient toujours debout, les seins dressés sous la lumière rasante. Elle lui dit : « mange moi ». Des mains font tomber le mince rideau rouge sur les chevilles de Lou, qui l’écarte avec le pied. Les lèvres d’Eugénie glissent sur le chemin de foin blond, jusqu'à la source. De fines phalanges élargissent avec précaution le sexe de Lou, pour le trouver rosi et trempé de désir. Eugénie goûte Lou, avec les doigts d’abord, puis mêlant sa langue aux chairs confuses d’excitation retenue trop longtemps. Lou réprime un hoquet de plaisir, et ouvre les cuisses plus encore. Les mains d’Eugénie tiennent le cul de Lou bien ferme maintenant. Sa bouche est plongée toute entière dans les replis suintants de Lou, qui s’agrippe aux cheveux d’Eugénie, lui maintenant le visage dans les profondeurs de son désir.

Eugénie a retiré son chemisier blanc, Lou est allongée sur le sofa, cuisses ouvertes, joues empourprées, regard éperdu. Enfin Lou tend la bouche - Eugénie la dévore, les lèvres et la langue encore luisantes de la jouissance recueillie entre ses cuisses un peu plus tôt. Leurs poitrines se joignent, leurs mains se serrent, Eugénie explore infatigablement l’étendue de peau blanche, encouragée par les gémissements qu’elle fait surgir à chaque halte, et les doigts de Lou qui glissent dans son sexe et la guide vers l’endroit choisi.

Elles restent de longs instants encore à se découvrir, à fouiller le corps de l’autre, à l’envahir, à en extraire toutes les ressources, jusqu’à finir blotties l’une enchevêtrée dans l’autre, le corps nu enduit de leurs jouissances, les yeux noyés de larmes de plaisir. 

Illustration: Gustave Courbet, Le Sommeil

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