Subscribe Now: standardSmall

mercredi 9 février 2011

Episode 7: Elévations

Une enfilade d’escaliers de fer entraîne Eugénie vers un point d’altitude douché de lumière ; elle ignore le terme de ce voyage vertical, mais n’oppose aucune résistance, Il lui a dit qu’Il l’attendrait en bout de course.

Quelque temps plus tôt elle avait lancé sa pelote de soie vers le ciel sans qu’elle ne retombe ; elle s’était suffisamment gorgée de luxure, et sa traversée transgressive avait fini par s’embrumer d’amertume. Elle avait perçu les biais et les faux-semblants de ces jeux de rôle, leurs dangers et leurs impasses, et s’était extirpée de la nasse de ses désirs avant qu’ils ne la retiennent définitivement dans leurs rets.

Elle n’avait pas pour autant renoncé à Le voir ; les mailles de Ses filets étaient d’une autre nature, douces et amples, elle aimait s’y laisser prendre, elle s’y sentait en sécurité ; entre Ses bras la volupté se teintait toujours d’une intense bienveillance, et leurs abandons étaient d’autant plus complets qu’une confiance infinie y régnait sans partage.

Eugénie progresse lentement, dans le ronron des rails graisseux du grand escalator ; un vent venu d’en haut caresse son visage d’ange, et recompose sans cesse le tracé aléatoire de ses longs crins brun-blonds.

Une large baie vitrée surplombe l’océan des tôles grisées et des façades de corail, d’où surnage une flèche de cuivre pointée vers le ciel, offrant négligemment les charmes de ses dentelles d’acier à leurs regards.

Les lèvres d’Eugénie cheminent avec nonchalance sur la nudité d’une jeune femme aux yeux marine noyés dans une chevelure fardée de noir et aux jambes striées de soie rouge, la découvrant de bas en haut, s’attardant à chaque rebord, déclenchant à chaque halte un soupir de plaisir.

L’escalier mobile l’avait relâchée au milieu d’une étendue de dalles blanches aveuglées de soleil, sur laquelle Il se tenait, l’attendant tranquille. Accoudé à la balustrade, le regard perdu vers les collines entourant la ville, Il lui avait alors fait part de son projet.

Il avait goûté pour elle à une jeune femme, Il la savait sincère et bienfaisante, Il lui proposait d’y plonger à son tour ; Eugénie Lui était si précieuse, Il voulait cicatriser ses blessures, effacer la trace sombre que la malveillance avait laissée dans son cœur ; Il avait la folle intuition que l’union de leurs chairs conjurerait tous les maléfices, Il lui proposait une sortie du libertinage par le haut, par la conjonction de leur belle complicité et d’une âme invitée sachant comme eux attendrir le vice.

Eugénie et la jeune femme s’enchâssent dans la tendresse, les mains posées délicatement sur les fesses au teint pâle de chacune, et leurs petits seins blancs en tout point semblables joignent leurs fruits roses, et leurs bouches feignent de s’éviter avant de se dévorer de nouveau, et les cheveux brun-blonds se colorent d’ébène.

Eugénie pense à Lou, au retour de l’innocence. Il les observe, jumelées dans l’échange langoureux de leurs désirs symétriques. Eugénie se tient devant Lui plus belle et libre que jamais, lovée dans la sincérité de ce qu’elle donne et reçoit en retour, allant chercher dans des gestes d’enfant le secret de frissons adultes, se délivrant des souffrances du passé sous la pluie rédemptrice des caresses, couvée par l’onde de chaleur rassurante de Son regard.

Les escalators ont tous été mis à l’arrêt dans un fracas métallique, la redescente n’est plus envisageable, le temps est suspendu.

Il se tourne en souriant vers la ligne argentée du relief urbain et s’éloigne, les laissant gravir toutes les deux une à une des marches feutrées de velours, vers les cimes vierges et violacées de leurs râles de jouissance.

Illustration : Nuages sur la ville, Michel Caron

2 commentaires:

  1. Eugénie ? Saint-Ange ? "vertus du vice" ? Faut-il y voir un rapport avec l'oeuvre du Marquis de Sade et notamment la Philosophie dans le boudoir (où une jeune Eugénie de 15 ans se fait enseigner le vice par Madame de Saint-Ange)
    drôles de coïncidences ^^

    RépondreSupprimer
  2. tout simplement enivrant et très bien écrit.

    RépondreSupprimer