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samedi 26 mars 2011

Episode 10 : Rétrospections

Les longs doigts fins viennent effleurer à intervalles réguliers les arêtes de petits cubes noirs alignés en rangs serrés sur le terminal, et la répétition incessante de ces arpèges fait jaillir à volonté des volutes de mots choisis sur la toile de la lanterne magique d’Eugénie, et les vaisseaux engloutis de ses réminiscences refont surface sur l’étendue de cristaux liquides.



Eugénie relève ses jambes nues sur les rives desquelles le satin bleu afflue et reflue au gré de ses poses, et porte à ses lèvres un foyer rougeoyant de papier de riz aux âcres senteurs d’Orient.



Elle avait traversé les sous-bois de ses désirs les plus inavouables, jusqu’à être recouverte toute entière par les broussailles et les ronces ; une main ne l’avait pas quittée sur le sentier mal éclairé de cette forêt pétrifiée, la tenant fermement pour ne pas qu’elle trébuche, lui signalant les pièges à loup tapis sous la mousse, pour la conduire à la fin vers la douceur chatoyante des clairières : Sa main, dans laquelle elle aimait tant glisser la sienne.



Elle savait que nul ne lirait jamais ces phrases qu’elle faisait inscrire sur des rouleaux numériques qu’elle cacherait ensuite dans le double fond des coffrets de sa mémoire, elle pouvait donc librement y compulser les secrets de ses fantasmes et les élans de son cœur.



Ils s’étaient éloignés des territoires du libertinage, embarqués vers une destination qui leur était inconnue. Ils s’étaient défaits d’une peau morte de luxure, et pourtant le fil sous-marin qui les reliait l’un à l’autre ne s’était pas rompu, se recouvrant d’un corail de tendresse qui le rendait plus solide encore.



Les petits seins dressés d’Eugénie affleurent sur le lac de satin turquoise tandis qu’elle reprend une respiration de fumée trouble, et qu’un sourire irrépressible creuse ses jolies fossettes puisqu’elle pense à Lui, à eux, à leurs dérobades, à leurs cavalcades souterraines et leurs disparitions impromptues.



Elle cherchait à habiller de mots les liens qui la retenaient à Lui, sans pouvoir parvenir à exprimer parfaitement l’étrange beauté de leurs transports, sans pouvoir définir précisément la nature de cette ligne de connexion qu’ils avaient tracée de part et d’autre de leurs âmes, sans exclusive, sans tentative d’annexion, ni titre de propriété ni bail, dans le seul exercice de leur droits de jouissance, et leur envie constante de creuser des tunnels pour venir se couvrir en cachette de leur bienveillance réciproque.



Il jetait sans relâche pour elle des bouteilles dans la mer digitale, qu’elle repêchait par grappes quand le courant finissait par les ramener sur ses plages ; le contenu des parchemins qu’elles renfermaient n’avait pas toujours une grande importance, seul ce geste répété qu’Il accomplissait ainsi était signifiant : il signalait la présence fantomatique de Ses bras autour d’elle, il disait qu’elle n’était jamais loin de Sa géographie mentale, il indiquait l’intense beauté renouvelée qu’Il trouvait en elle, et cette vigilance télépathique la rassurait et l’apaisait.  



Les eaux bleu-lagon satinées se sont retirées, laissant apparaître les reliefs du corps nu d’Eugénie, tandis qu’un parfum entêtant envahit complètement l’espace. Les phalanges menues effleurent d’autres arêtes, font jaillir d’autres volutes de plaisir, et la répétition incessante des gestes se dissout dans le ruisseau tourbé des soupirs.


Les cheveux brun blonds d’Eugénie s’étoilent sur Son épaule, et la pulpe de son index glisse délicatement sur Sa verge à présent assoupie, et l’autre main se niche dans la Sienne, et Ses bras la contiennent, et plus rien ne compte que l’immensité verdoyante de leur tendresse.

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