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vendredi 4 février 2011

Episode 6 : Les vacances d’Eugénie

Le cylindre de papier blanc achève de se disloquer sous la chaleur des braises, puis s’écrase sur le sol. Il porte vite un autre cylindre à ses lèvres, qu’aussitôt Il enflamme.

Il n’avait eu aucune nouvelle d’Eugénie depuis plusieurs nouvelles lunes. Il la savait dans un pays lointain, plongée dans une ville bouillonnante, Il cherchait à se la représenter dans ce contexte étranger, sans pouvoir y parvenir autrement que par le biais du fantasme.

La ligne rougeoyante progresse lentement sur le cylindre, le convertissant implacablement en volutes dispersées dans la nuit tranquillement glaciale.

Il avait cherché à étouffer le manque d’elle dans un excès de vice. Aucun des plaisirs auxquels Il s’était livré n’avaient pourtant permis de dissiper la gêne qu’Il éprouvait, ce n’étaient là que des abandons fugitivement palliatifs mais très vite son image mentale Le submergeait de nouveau.

Le cylindre s’abîme sur le terreau gelé, dans un dernier jaillissement de flammèches ; Il en extirpe un autre de Son manteau sombre, et le soumet au désir insistant d’un feu jaune et noir.

Une jeune femme au corps blanc et longiligne s’attarde avec avidité sur Son sexe, Il observe le fleuve au débit ralenti de ses cheveux brun-blonds, elle relève un instant la tête, d’un regard fixe et fier ; Il croit un instant discerner le visage d’Eugénie qui surgit de la pénombre ; plus tard encore Il jouirait dans un cul qui ne serait pas le sien, quels que soient les subterfuges qu’Il emploierait pour s’en convaincre.

Le petit étui blanc se désagrège doucement sous la lune boréale, les crépitements du brasier que Ses lèvres raniment par saccades perturbent seuls l’emprise infinie du silence. Bientôt une nouvelle proie fine et tubulaire devra être offerte à la morsure ardente du jet de gaz bleuté.

La jeune femme se penche toujours au chevet de Sa queue écarlate ; Il aurait voulu qu’Eugénie se trouvât au cœur de ce cercle de volupté, sans elle ces agapes prenaient un tour incomplet, qui ne faisait que surligner son absence d’un trait noir et rose.

Depuis qu’Il avait rencontrée Eugénie, leur relation s’était faite chaque jour plus profonde et complexe, débordant largement le cadre du mélange des chairs ; elle Lui avait offert la splendeur diaphane de son cul, Il avait déboutonné à l’envi le secret de ses seins, Il s’était repu de son nectar, Il s’était naufragé dans la tendresse enfantine de son sourire, mais au-delà, elle Lui avait par fragments dévoilé la beauté pure et fragile de son âme, une beauté de Lui jusqu’alors inconnue, violemment libre ; cette beauté-là surtout L’irradiait, Le délivrait de Ses noirceurs, Lui donnait terriblement envie de prendre soin d’elle et de la protéger, toujours plus, sans pour autant attenter à cette liberté qu’Il admirait tant chez elle.

Des mains fébriles actionnent une fois encore le silex pivotant d’où jaillira le feu libérateur ; la combustion ne doit pas avoir de cesse, la fumée grise ne doit pas quitter le système pulmonaire, afin qu’elle y délivre à flux sanguin continu ce délicieux poison qui engourdit les synapses et embrume Ses pensées d’un voile d’inconscience.

La pointe rougissante d’un cylindre enroulé de gris dessine des arabesques dans la nuit sans lune de la chambre. Eugénie est nue, le corps transi de jouissance, la main qui ne tient pas le cylindre se referme tendrement sur une verge à demi détendue.

Eugénie ranime une dernière fois le foyer poussif de tabac blond, et porte son regard par-delà la fenêtre. Elle sait qu’elle Le reverra bientôt, elle sait qu’elle pourra alors de nouveau et sans craintes éteindre toutes les cigarettes et venir se blottir contre Lui.


Illustration: Baigneuse se coiffant, Pierre-Auguste Renoir

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