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vendredi 21 janvier 2011

Episode 5 : La disparition d’Eugénie

C’est un amas de lave et d’éther duquel des évènements accidentels et successifs ont fait jaillir des systèmes organiques toujours plus complexes, ramifiés, interdépendants, fragiles.

C’est un équilibre patiemment tissé, qui vacille sous les coups portés par le plus subtil de ces systèmes, fier et dominateur.

C’est une cité européenne plusieurs fois millénaire, dont le cœur minéral renferme parmi les plus beaux témoignages de ce système avant la rupture d’équilibre, posés là à jamais par les tailleurs de pierre.

C’est un point de coagulation du système parmi d’autres, où s’agglomèrent sa beauté et sa bassesse, où le médiocre fraye avec la grandeur, où les plus pures élévations côtoient la plus abjecte des laideurs.

C’est un repli de cette ville où s’aventurent rarement les voyageurs, un espace laissé en paix par le libre échange planétaire, strié de rues aux noms anciens et oubliés des deux côtés du boulevard, aux flancs desquelles s’étalent des commerces qui n’ont plus cours autre part.

C’est un petit hôtel au fond d’une de ces rues charmantes, à l’entrée élégante et discrète, où l’on ne sonne jamais par hasard, et où l’on vient s’étreindre loin du bruit épuisant du système et de ses assommoirs.

C’est Eugénie dévêtue, rêveuse détendue, étendue sur le ventre dans cet hôtel caressant, sur un matelas de rouge et de noir, c’est un sexe d’homme qui s’enfouit lentement mais sans cesse en elle, ce sont des mains d’homme qui irisent sa nuque de caresses, c’est son demi-soupir de bien être tandis qu’elle s’assoupit enfin, sous la protection rassurante de Son regard.

Ce sont des heures de mise à l’abri du système, des instants pointés de suspension tandis que dehors tout implose.

Ce sont des journées où Eugénie aime s’autoriser ainsi à disparaître, où les téléphones sonnent dans le vide, où on l’aurait cherchée en vain dans le fracas universitaire, où nul ne savait où la joindre, tandis qu’elle joignait son jeune corps nu et frissonnant au Sien.

Ce sont des mains qui se trouvent sans se chercher dans des arrière-salles au passé tabagique, ce sont des sourires qui se répondent sans rien demander en retour, ce sont des petits seins dressés sur lesquels une langue s’attarde avec douceur, c’est le cri-cri du satin bleu sur la peau d’Eugénie quand la splendeur de son cul se dévoile, ce sont Ses doigts léchés avidement au cœur de la jouissance, ce sont des lèvres perlées de champagne qui se frôlent puis se serrent l’une contre l’autre, ce sont deux êtres qui ont quitté le système, et qui voudraient l’oublier pour toujours.

Ce sont des mots qui n’ont plus besoin d’être prononcés, ce sont des cigarettes qui s’allument d’elles-mêmes, ce sont des rêves partagés, ce sont des idées belles et justes qu’elle défend avec espoir.

C’est Eugénie épuisée par la vie et le vice, qui vient ronronner sur une épaule bienveillante, tandis que le néon de l’hôtel grésille dans le noir.

C’est une verge tendue que les doigts d’Eugénie cajolent, ce sont des bras qui la cerclent, c’est son cul qu’elle Lui offre, dans lequel Il se perd, dans lequel elle Le retrouve, dans lequel Il se serre, dans lequel il se relâche.

C’est un amas de lave et d’éther, sur lequel deux corps noyés s’abritent l’un l’autre, puis enfin disparaissent, dans la tendresse secrète et sucrée de leurs amours.


Illustration: Le Baiser (détails), Gustav Klimt

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